Les sorcières de Cerisy
Note des éditeurs : Performance « vivace éphémère essaim » du 24 mai 2018 en soirée. Envoi de la documentation de la performance par courriel aux éditeurs le 28 mai à 13h00 pile.
Cher.e.s vous,
Vous avez accepté jeudi de prêter votre voix à O., E., G., Y., R. et d’autres qui n’ont pas donné leur prénom.
Certains d’entre vous ont eu la générosité de me faire de précieux retours sur la performance.
Merci à vous.
J’aimerais continuer la discussion avec celles et ceux d’entre vous qui le souhaitent ou, a minima, vous envoyer quelques pistes / supports / liens / inspirations.
Voici donc ci-après la partition et quelques références.
Peut-être à suivre aussi, le récit des contre-soirées, en particulier la performance Aime-moi, rends-moi visible à la grange samedi soir, merveilleusement improvisée avec Gustavo, Nolwenn, Erika, Julie, Gabriel, Marion et du maquillage phosphorescent.
Enfin, comme promis à certaines et certains d’entre vous, quelques liens relatifs à Image fantôme, lu mardi en soirée off au deuxième grenier — une programmation de Cécile Portier 🙂
les commentaires de la page initiale ici
les archives (avec un petit bug dans le formulaire d’invocation)
et une présentation.
Au plaisir de lire vos retours,
Lucile
—
2018.05.24
Centre culturel international de Cerisy-la-Salle
vivace éphémère essaim
🦄 🔮 💻 ⚗️
PARTITION
À la bibliothèque,
attendre avec la pleine lune en terres froides le 26 décembre 2015
(1:18, plusieurs fois)
stigmatiser avec un extrait de film
[foule] — A witch ! She’s a witch!
[homme] — How do you know she’s a witch?
[foule] — She’s dressed like one.
[femme] — They dressed me like that!
(1:04)
revendiquer avec les W.I.T.C.H. sur instagram
#bindtrump
(1:46)
se demander qui parle, un pied sur le bureau, 1 clic = rouge
l’autre pied, pareil.
« Je supporte plus de voir des femmes athées qui se disent sorcières. »
sortir de la bibliothèque, sortir du château
ne plus leur parler / parler, fort, en regardant l’écran
ne pas marcher trop vite à cause du bruit du gravier
(env. 9 min.)
se demander ce qui parle, 8 clics = arc-en-ciel
« Le texte que je viens de vous lire est un article public dont le lien a été déposé par son auteure en commentaire de l’event Facebook du festival Comme nous brûlons à Paris l’été dernier. Maintenant, j’aimerais vous emmener dans un autre endroit de Facebook. »
rentrer dans le château, monter l’escalier.
Au salon,
« À propos de ce groupe. Description. Ce groupe FB est une tentative de rassembler des personnes se sentent proches politiquement et spirituellement de la tradition Reclaiming, dans le but de .. aucune idée. Impulser des choses ? .. Discuter ? Pour celleux qui veulent. »
« Bonjour, bienvenue ! Si tu veux, tu peux te présenter. »
proposer de piocher un papier
vous lisez, si vous voulez
répéter jusqu’à épuisement des papiers ou des lecteurs
(combien de temps ? 20 min. ?)
lire croisé comparé les traductions du contenu épinglé
(2 voix * 1 page A4)
8 clics = stroboscope
BRUJAS – PRINCESS NOKIA (4 min.)
« If I can’t dance in your revolution, I’m not coming » Ynestra King
proposer de bouger encore et ailleurs
À la cave,
MIX Des Sorcières, Rebeka Warrior (44 min.)
SORCIÈRE, QUOI DONC ?
(qu’est-ce) qui dit que qui est sorcière ?
Qui est Sorcière [1] ?
Qu’est-ce que c’est qu’être sorcière ?
Qu’est-ce que ça fait de dire que X. est sorcière ?
Quel(s) processus d’assignation sont à l’œuvre ?
D’abord, ouvrir une brèche entre deux faces de la figure de la sorcière :
d’une part, la stigmatisation, la figure-épouvantail, construction stigmatisante pour détruire une organisation sociale et assoir un pouvoir politique [2] ;
de l’autre la réappropriation, l’empuissancement, le retournement de stigmate, les enjeux politiques féministes, queer.
(in)visibilisation
Dans le canon Episcopi (4ème siècle après JC), sont déclaré.e.s hérétiques celleux qui croient que des femmes vont la nuit chevaucher avec Diane ou Hérodiade. Le surnaturel et les croyances païennes sont déconsidérées et qualifiées de songes.
Au quinzième siècle et notamment à partir des théories de l’inquisiteur Nicolas Jacquier, c’est le contraire qui se produit. Sera désormais hérétique cielui qui ne croira pas à la réalité du transport au sabbat.
Puis la révolution scientifique des seizième et dix-septième siècles, la modernité, la révolution industrielle, la pensée mécanique du monde, la rationalisation, l’exploitation de la nature et du vivant à grande échelle, le capitalisme [3]. Et la magie se fait technologie, se rabat sur l’effet d’un subterfuge, n’est plus considérée qu’en tant que le résultat de manigance habiles dont les rouages échappent [4].
« La cuillère n’existe pas », les parapsychisme, fantômes, télékinésie, prémonitions, bref, les magicien.ne.s et les sorcières non plus.
Et pourtant.
changer le monde
Déplacer l’axe de polarité,
s’éloigner des question de subjectivations (stigmatisation v/s empowerment),
aborder ce qui est plus grand que le sujet :
le collectif, le monde, le politique non pas en opposition à la magique mais
le politique en tant que magie et la magie en tant qu’action politique.
Fred Turner distingue deux modèles pour changer le monde :
changer le monde par l’action politique
v/s
changer le monde par un changement individuel de conscience.
Avec Starhawk et les sorcières éco-féministes :
changer le monde est action magique politique collective et individuelle,
changer le monde est un changement collectif de conscience.
« Tout le monde peut faire de la magie, Tout le monde peut faire ce travail
qui change les vies et renouvelle le monde. La magie est l’art de changer la conscience à volonté. D’après cette conception, la magie inclut la politique, qui a pour but le changement de la conscience et par conséquent la conduite du changement. »Starhawk [6]
réseau
« Qui fait partie de mon réseau,
Qu’est-ce qui nous lie, précisément ?
Autant chercher à comprendre la force
[…]
qui dirige la toile d’araignée
et organise la stratégie de la mauvaise herbe.
[…]
Enquêtez sur les marguerites qui envahissent les pelouses
ou sur le lierre qui pénètre partout où il le désire. »
Susan Saxe [7]
[insérer une photo des marguerites cerisyaises par Erika Fülop]
[insérer la photo du lierre insinué dans la porte de la grange par Jean-Pierre Balpe]
« Bonjour, je ne suis pas non plus fan de FB, j’y suis par résignation, mais si on peut trouver mieux… Comment est née cette page et pourquoi ? Y avait-il un groupe derrière, des pratiques, rassemblements… ? »
— En quoi consistent vos rituels de sorcières ? Est-ce que vous pouvez me donner un exemple ?
— Ce n’est pas évident d’en parler, parce que c’est difficile d’éviter le cliché. C’est difficile de dire qu’on convoque les éléments, qu’on forme un cercle et qu’on fait circuler de l’énergie. Ces termes-là renvoient à des éléments qui ont été repris dans la popculture. C’est difficile d’être juste.
— Le mot le plus important, c’est l’intention, le sens qu’on met aux actes que l’on fait. On peut couper une courge et le sens sera déplacé par l’intention.
extrait de l’itw des trois membres du groupe par Céline du Chéné, non mise en onde.
de l’inconfort de la lecture en déambulation / bribes perdues
Internet, Facebook, ça a toujours déjà commencé.
Ça déborde, on ne voit pas tout, on en saisi des bouts.
Les réseaux sociaux sont pleins de bruit.
C’est ce qu’on y fait : du bruit.
Comment est-ce que ça cesse d’être du bruit,
comment est-ce que ça fait sens ?
L’attention, la sélection, le suivi ? Qui fait attention à quoi ?
Pour que ce soit autre chose que du bruit,
il ne s’agit pas seulement d’énoncer clairement,
il faut que ce soit reçu avec soin.
Recevoir avec soin.
Avec empathie, joie, tendresse, confiance.
Se laisser affecter. S’impliquer. Abolir des distances.
Rechercher à prendre en soi, proximité.
Les gens (vous) qui se serrent et qui écoutent en essayant de faire le moins de bruit possible avec leurs propres pas.
Gravier métaphorique
et celleux qui sont dans le trouble : pas d’annonce, pas de cloche, ho !l’irrespect de protocole
Ça fait ça aussi de rencontrer les paroles des autres : ça bouscule les habitudes.
NOTES
[1] Parfois (ici), Sorcière est un nom propre, comme Cyborg chez Thierry Hoquet (Cyborg philosophie, Penser contre les dualismes, Paris, Seuil, 2011). Ce n’est pas l’endroit de détailler les affinités de Sorcière et de Cyborg. Dire, seulement, de Cyborg, qu’iel « vit dans un monde postgenre », qu’iel est « créature de la réalité sociale et créature de fiction ». Et trouver encore chez Haraway une définition de la réalité sociale qui résonne avec les écrits de Starhawk : « c’est le vécu des relations sociales, notre construction politique la plus importante, une fiction qui change le monde ». Manifeste Cyborg de Donna Haraway (voir à la fin de cet article).
[2] Lire :
Sylvia Federichi, Caliban et la sorcière, femmes, corps et accumulation primitive, Entremonde et Senonevero, 2014 (nouvelle édition 2017) ;
Starhawk, « Appendice A. Le temps des bûchers. Notes sur une période cruciale de l’histoire », dans Rêver l’obscure, Femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, pp.273-326 ;
les retranscriptions de procès de sorcières dans le livret d’accompagnement à la visite de l’exposition « Présumées coupables » aux Archives nationales du 30 novembre 2016 au 27 mars 2017, téléchargeable en ligne sur <http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/>.
[3] Carolyn Merchant, « Exploiter le ventre de la Terre », in Reclaim, recueil de textes écoféministes, Émilie Hache (dir.), Paris, Cambourakis, 2016, pp. 129-158. Édition originale : extrait de « Mining the Earth’s Womb », in Machina Ex Dea: Feminist Perspectives on Technology, édité par Joan Rothschild, pp. 99-117, Pergamon Press, 1983.
[4] Lire :
Manuela De Barros, Magie et technologie, Paris, Supernova, 2015.
Ewen Chardonnet, Mojave Épiphanie, une histoire secrète du programme spatial américain, Paris, dernière marge, 2016.
Ainsi que les travaux de Gwenola et Jeff Guess autour du projet Média Médium : http://www.mediamediums.net/fr/
[6] Starhawk, Rêver l’obscure, Femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015.
[7] Susan Saxe, « Une question stupide », in Reclaim, recueil de textes écoféministes, Émilie Hache (dir.), Paris, Cambourakis, 2016, pp. 159-160. Édition originale : extrait de « Ask a stupide Question », in Reclaim the Earth: Women Speak Out for Life on Earth, édité par Leonie Caldecott et Stephanie Leland, pp. 65-66, The Women’s Press, 1983.
CE QUE J’AVAIS DIT QUE CE SERAIT
Figure politique, féministe, écologiste, queer, Sorcière retourne le stigmate, fait face à l’histoire, aux oppressions subies et infligées, héritées et actuelles. Sorcière renaît, n’en finit pas de renaître, « les femmes vivent » sur papier et »Bind TRUMP » sur Instagram. Poétique, spirituelle, plurielle, Sorcière fédère, inspire, traverse. Les sorcières veulent construire d’autres possibles. « Nous ne croyons pas en la Déesse, nous nous connectons à elle ». Ielles travaillent à révéler la dissonance des Sirènes de l’innovation. « Nous ne nous battons pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend ». Mais se rencontrent, s’organisent et sont ensemble grâce, notamment, à des plateformes en ligne. Ielles se trouvent, se réunissent, pensent, partagent, font réseau, font toutes ces choses utopiques et belles qui ont été le premier imaginaire grand public d’Internet. « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître ». C’est un tout autre imaginaire qui fleurit aujourd’hui autour d’Internet. Au refuge d’une autre maison qui fût seigneuriale, il s’agira de glisser entre les pierres du château une graine, boite aux lettres morte, un arrêt dans le flux de données, comme un rendez-vous d’une temporalité et d’une dignité non connectés. Dans la boîte et dans les bouches : les mots. Ceux de Starhawk, Susan Griffin, Carol P. Christ, Joanna Macy, Carolyn Merchant, Audre Lorde. Dans la boîte et sur les rétines : les images, surgissements, Sorcière.
CE QUE CELA (N’)A (PAS) ÉTÉ
Contrairement au projet originel, pas de dead drop.
Doublon : la boite quoi@donc.me devait nous servir d’espace de partage.
Aussi : je n’ai pas osé demander à Edith…
Contrainte formelle :
considérer cette invitation au colloque « Art, littérature et réseaux sociaux » comme contrainte créatrice.
Tout ce qui à été dit, les mots, les phrases, les textes, ont initialement publiés sur Facebook. Donc, finalement, pas de citations d’ouvrages. Les images : seule la pleine lune n’est pas publiée en ligne, les autres choses, nous nous les sommes partagées, dans le groupe ou d’autres connexes.
Ce parti pris en contrepoint d’une autre performance, un rituel cette fois-ci, à la Gaité Lyrique le 24 avril 2018, qui reposait sur les convocations solennelles de nos guides et de toute entité souhaitant notre évolution spirituelle :
Carol P. Christ, Gilbert Simondon, Chantal Mouffe, Karl Marx, Howard Bruce Franklin, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, Audre Lorde, Barbara Ehrenreich et Deidre English, Isabelle Stengers, Donna Haraway, Jeanne Favre Saada, Silvia Federici, Jean-Baptiste Vidalou, Émilie Hache, Starhawk.
Enfin : la graine à planter, plutôt qu’un élément inerte, une chose vivante : les mots à travers vos bouches. Y a-t-il jamais eu autant de grammaire inclusive prononcée au château ?
RÉFÉRENCES & COMPLÉMENTS
Edith Heurgon nous a appris que Starhawk était venue à Cerisy.
C’était en 2000, à l’occasion d’un colloque dirigé par Tobie NATHAN, Olivier RALET et Isabelle STENGERS : http://www.ccic-cerisy.asso.fr/cultures.html
Elle présentait l’ouvrage Dreaming the dark, avant sa traduction et publication en français chez Cambourakis en 2015 sous le titre Rêver l’obscure, Femmes, magie et politique.
Les actes du colloque ont été publiés sous le litre : Propositions de paix, dans la revue ethnopsy numéro 4, avril 2002.
Émilie Hache, qui a écrit la préface de Rêver l’obscure, réunit des textes fondateurs de l’écoféminisme qui étaient pour la plupart inédits en français. Reclaim, recueil de textes écoféministes parait chez l’éditrice Cambourakis en 2016.
« Reclaiming est une tradition de Sorcellerie (Craft). Pour nous, la Déesse est la roue de la naissance, de la croissance, de la mort et de la régénération. C’est pourquoi le monde vivant est sacré pour nous : le corps et l’esprit, les cycles de la nature, la sexualité dans ses expressions diverses et, enfin, les éléments de l’air, du feu, de l’eau et de la terre qui soutiennent toute vie. Dire que ces éléments sont sacrés est un acte politique en soi : ce qui est déclaré sacré ne peut être ni exploité ni pillé. Agir dans le monde au service du sacré est l’une des expressions centrales de notre spiritualité.
Chaque individu est une incarnation vivante du sacré. L’expérience divine est accessible également à toutes et tous et l’expérience du divin de chacun-e est valide et importante. L’autorité spirituelle est située à l’intérieur de nous. Nous sommes chacun-e les gardien-ne-s de notre propre conscience. »Extrait de : Starhawk, « Une définition opératoire de Reclaiming », titre original : A Working Definition of Reclaiming ;
traduction/adaptation : Goupil, a.k.a Vinaigre, a.k.a Sapling ;
non daté, publié sur http://reclaiming.online.fr.
Et puisque je l’ai cité longuement, même si ce n’est que dans une note, voici les références du Manifeste Cyborg de Donna Haraway : « Un manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle », dans Des singes, des cyborgs et des femmes, Actes Sud, 2009, pp. 268-269 ; dans Bureaud A., Magnan N., Connexions, art réseaux media, Paris, Presses de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2002, p. 548 ; dans Manifeste cyborg et autres essais. Sciences-Fictions-Féminismes, Paris, Exils, Essais, 2007, p. 30 ; première édition : Socialist Review, 80, 1985, pp. 65-108.
Note de Emmanuel Guez. Le mercredi 27 mars 2018, à 22h50, lors de la réalisation de ce site, le serveur a refusé d’afficher cet article [Error : 8], tandis que les 192 autres s’affichaient sans problème. Les esprits rationnels se pencheraient sur le code, tandis que les poètes pourraient y voir un signe. Le jeudi 28 mars, à 13h00, l’article s’est affiché normalement, réconciliant les deux.