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Actes du Colloque "Art, littérature et réseaux sociaux" 22 > 27 mai 2018 CCI Cerisy-la-Salle

Aime-moi, rends-moi visible

Le 27/05/2018 à 00:01 par Gustavo Gomez-Mejia @gustavo-gomez-mejia

Note des éditeurs : Soirée du 26 mai 2018 après 22h. Envoi par courriel aux éditeurs le 4 avril 2019 à 20h33. La date de l’article a été fixée arbitrairement au 27 mai à 00h01.


Lors d’une contre-fête dans la grange de Cerisy, bâtisse vide et sombre et poussiéreuse du XVIIe siècle, Lucile sort de son sac magique un petit pot de maquillage fluo. Nous sommes plongés dans le noir, cet ingrédient va donner un style un peu cyberpunk à notre fin de soirée plutôt précaire : 5 personnes, 1 bouteille de Suze, le téléphone de Nolwenn branché sur Youtube et les effets improvisés que procure le fameux maquillage fluorescent. En nous grimant, nous prétendons que les formes tribales dessinées sur nos fronts et nos joues nous affilient en fonction de leurs motifs aux totems du glitch, du 1 ou du 0. Cela nous fait rire et nous nous mettons à danser, pris dans sorte de clip païen souterrain.

Progressivement, l’éclat de la nouveauté diminue : l’effet lumineux du maquillage s’atténue fatalement. Nos masques fluo disparaissent dans le noir, hélas. Dans une parenthèse d’apparent ennui, Erika se met à regarder son téléphone. Accident heureux : on découvre ainsi que cela recharge son maquillage ! Comme par magie, la lumière de l’écran réactive les formes de son visage. Toujours dans le noir, nous sommes alors nombreuses à demander un petit coup d’éclat téléphonique et ce service réciproque commence à être rendu. De la sorte, un rite s’installe : chaque fois qu’un visage se trouve déchargé, son entourage peut lui venir en aide. Sans interrompre nos danses, chacun sort son téléphone et bombarde ce visage avec la lumière plurielle des écrans jusqu’à ce que l’effet fluorescent revient. 

Cette visibilité du visage qui se réactive à condition qu’on lui prête attention collectivement, nous fait penser à une allégorie des réseaux sociaux. Alors que nous avons pris l’habitude de nous flasher mutuellement, nous formons des meutes concentrées sur le visage éteint de quelqu’un et nous nous mettons à lui crier : « Je te like ! Je te like ! Je te like ! Je te like ! ». D’autres personnes débarquent dans la contre-performance et prennent part au jeu. Avec un rythme vocal de perroquet et de sorcière, on crie aussi en espagnol pour conjurer l’obsolescence programmée de nos traits: « Je te like! Je te like! Like! Like! Me gusta! Me gusta! Me gusta! ». Le plus souvent ces rafales de frénétiques scans faciaux avec le téléphone à bout de bras finissent dans une sorte d’essoufflement : « Je te like ! Like ! Like ! Like ! ». 

Une vingtaine de likes lumineux suffisent à redonner vie à nos visages chaque fois qu’ils se ternissent. À la fin de chaque recharge collective par à-coups de likes, nous disons à notre amie : « Ça y est ! Tu es redevenue visible ». Altruistes et égolâtres, nous avons peur de toute tête qui s’opacifie.  « Je te like ! Je te like ! Je te like ! Je te like ! » La scène se répète. Il faut que chaque visage reste un minimum phosphorescent, que chacun accède à ses minutes de luminosité. « Je te like ! Je te like ! Je te like ! Like ! Like ! « Nous acquérons des dettes symboliques les uns par rapport aux autres. Quelqu’un de poli osera même dire « Merci ». Un autre: « Merci pour les photons ».

À la fin de la contre-soirée, il fallait s’y attendre, le maquillage fluo coule et tend à quitter les frontières fatiguées de nos visages. Nolwenn me fait alors remarquer que j’ai une tache sur ma manche. « Ce n’est pas du gras, c’est de la popularité ». Ah, leçon parodique des likes ! Elle se démaquille et je lui demande à mon tour : « Où est ton lipstick algorithmique ? ».

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