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Actes du Colloque "Art, littérature et réseaux sociaux" 22 > 27 mai 2018 CCI Cerisy-la-Salle

Rejoins-nous… Suis la lumière

Le 27/06/2018 à 00:01 par Nolwenn Tréhondart @nolwenn-trehondart

Note des éditeurs : Soirée du 26 mai 2018 après 22h. Envoi par courriel aux éditeurs le 15 avril 2019 à 20h06. La date de l’article a été fixée arbitrairement au 27 mai à 00h01.

Rejoins-nous… Suis la lumière… Laisse-nous t’irradier… Toi aussi, tu peux briller… L’invitation était sans équivoque. La sorcière connaissait son métier et convoquait sa tribu : elle avait décidé ce soir-là d’offrir une messe de lumière à nos visages en manque. J’ai tout lâché à son appel. Sur-le-champ. J’ai déserté la cave que j’occupais depuis des années, sombre voûte transformée en terrain de ping pong miteux. J’avais laissé trop de plumes dans cette bataille. J’ai emprunté, comme une automate, le pont de la sociabilité. J’ai longé les murs du château et inspecté les douves à la recherche de signes. J’aurais dû le savoir, les baskets de la sorcière ne laissent pas de trace, elles ne clignotent que dans l’au-delà. Follow us… We can make you visible again… Une voix inconnue mais familière scandait ces mots dans ma tête. J’étais en train d’emprunter le chemin des écuries quand j’ai senti leur présence. Un petit groupe, quatre ou cinq Suiveurs, pas plus, qui s’étaient rassemblés dans la grange autour de la sorcière. Ils m’ont invitée à entrer dans la bulle et à danser avec eux. Ce que nous faisons ensemble est important. J’ai dit OK, mais que moi, c’est la lumière qui m’intéressait, c’est pour elle que j’avais tout quitté. Je la voulais avec moi, en moi, qu’elle me traverse. En parlant, je ne pouvais m’empêcher de fixer des yeux la transe étrange, scintillante, clignotante, trébuchante de la géante. Elle s’est approchée et m’a demandé : « Qu’est-ce qui préoccupe ton esprit ? » J’ai répondu (trop vite ?) que nous n’étions pas seuls dans la grange, le jour, elle est vide, mais, le soir, les esprits délaissent leurs cercueils photographiques en noir et blanc pour des filtres de resuscitation. La géante a souri (jaune) et m’a demandé s’il y avait du nouveau. J’ai répondu que, non, pas vraiment, mais que j’aurais bien aimé un petit coup de pouce pour sortir de l’ombre, moi aussi. Elle a souri encore, mais avec des yeux tout ronds cette fois, et m’a recommandée aux autres, qui m’ont tendu le pot. Au début, j’en ai mis juste un peu, un simple trait au-dessus des yeux, comme de l’eyeliner, j’étais méfiante, et puis, rapidement, j’ai compris que ça marchait, qu’il fallait faire confiance, mais qu’il m’en faudrait plus, vraiment plus, pour faire des étincelles. Alors je me suis tartinée la face, le front, les joues, les lèvres, le cou, et les bras. Je me sentais forte, j’irradiais. La géante a voulu savoir : Comment tu te sens, là, tout de suite ? J’ai répondu sans réfléchir que j’étais heureuse, et reconnaissante, car j’étais brillante, je le voyais bien qu’on me voyait maintenant. J’ai osé quelques pas toute seule dans le noir, vers le fond de la grange, pour tester mon nouveau pouvoir. Approche-toi… Suis-moi… Philippe Sollers en chemise de nuit blanche cherchait à me tagger. J’ai eu l’impression de marcher des kilomètres pour le rejoindre. Plus j’avançais, plus il s’éloignait. Loin des Suiveurs, ma peau-bougie se mettait en veilleuse, menaçait de s’éteindre, mon visage se fanait, s’estompait. Plus je m’éloignais de la bulle, plus je prenais de risques aussi, a commenté Erika, avec qui j’avais partagé plus tôt un petit coin de paradis près de la volière. Plus tard, j’ai appris qu’elle avait voulu se suicider, heureusement ses amis l’en avait dissuadée.
C’est alors que je les ai entendus. « Je te like ! like ! like ! », aboyait la tribu en pleine transe algorithmique. La lumière coulait sur leurs faces, l’expression de leurs visages reprenait forme, modelée par la grâce de l’écran-lumière. Fuyant le royaume des ombres, j’ai réclamé ma dose, qu’on me like, moi non plus, pour faire remonter mon taux d’existence.
Plus tard, dans la nuit, un par un, nos téléphones nous ont lâchés. Faute de batterie, nos visages se sont ternis. Alors, avec Gustavo, on a terminé la Suze et on a regardé les étoiles. On n’a pas pensé à faire de selfies, ce soir-là.

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Contre-soirée des Sorcières