I LOVE TO SPAM

Note des éditeurs : Communication du 25 mai 2018 à 14h30. Envoi par courriel aux éditeurs le 17 juin à 21h30.

Emmanuel Guez > bon on reprend tout de suite ?
Albertine Meunier > oui on reprend parce que sinon pffffffff
Donc bonjour, merci de l’invitation
Donc le nom de code c’est Albertine
Faut que je dise albertine
Donc voilà ça c’est dit

Moi je vais parler de la data.
Dernièrement j’ai été à une conférence à Montréal et j’avais intitulé ma conférence « Quand la data va tout va ! »
Et en fait quand je suis arrivée sur place, il y avait écrit sur l’affiche d’invitation « Quand le data va tout va ! »
Donc cela pose déjà une question : Quel est le genre de la data ?

Pour prolonger cette remarque, sur cette question du genre et de l’article, je travaille aussi dans un collectif, le collectif We Love The Net, et dans ce collectif on dit « datum », le datum ou la datum … et on dit « les datas ».
En revanche quand les datas sont big, on s’accorde pour dire la big data.

Donc je vais tenter de suivre cette « règle » dans l’énoncé de ma conférence.

Je traite de la data sous différentes formes et ce depuis de nombreuses années. Je vais vous donner un aperçu de ce travail où les datas, les GAFA, sont très présents.
Dernièrement, d’ailleurs Emmanuel en est assez étonné, je me suis mise à la chanson parce que c’est une manière un peu plus légère de parler de la data et de faire passer un certain nombre de messages. Toutes ces chansons sont très DataDada, DataDada étant un mouvement artistique créé avec Julien Levesque. Donc faut pas forcément les prendre au sérieux, mais en même temps c’est très sérieux. C’est cette espèce d’ambiguïté que l’on peut retrouver dans tout mon travail.

{début musique}

Pépita Data 
Hey Data
Je m’appelle Pepita
Je believe in Data
in Catapla
Mon neveu c’est Roro
Qui m’joue du banjo
Forte-piano

Pépites à Data
Ola Ola
Pépita au lait 
Olé Olé
Pépites à Data
Ola Ola
Tu files comme la luz
T’es bourré de flou
etc.

{arrêt musique} 

Je vais m’arrêter là et je vous invite à aller écouter la suite sur Internet.

[Ajout des éditeurs : la chanson en question]

Les datas ont une valeur et représentent un capital marchand, d’où le titre Pépites à Data.

Vous l’avez compris, moi mon Dada c’est la Data et j’ai un ami, Google. Quelqu’un dans la salle peut-il lever la main pour montrer si Google n’est pas son ami ; si quelqu’un n’utilise pas Google ? Là, une personne. Deux personnes ! Ok c’est peu.
Pour ma part, Google est mon ami. C’est mon ami car depuis de nombreuses années, je l’utilise dans mes recherches pratiques de tous les jours mais aussi dans ma création. Mon usage de Google me sert de matériau pour créer des objets, créer des œuvres.
Cette petite fenêtre que l’on utilise tous est une porte d’entrée infinie, en apparence anodine. On cherche tous des trucs. On utilise quasiment tous ce moteur avec ce geste répétitif de taper une recherche, presque automatique, comme un réflexe. Quand on a un mobile, c’est encore plus insistant.
Donc Google est vraiment au quotidien et au cœur de votre main.

Je voudrais vous parler de cette oeuvre : My Google Search History

My Google Search History est l’inventaire de toutes mes recherches Google, mises bout à bout, mises sous la forme d’un livre papier. En novembre 2016, j’ai produit le Tome 2 de My Google Search History, le tome 1 étant épuisé. On va le voir après, c’est un livre qui est complètement illisible. Ou disons qu’il est assez difficile à lire parce qu’il s’agit d’une liste de mots ou de données que j’ai livrées au compte-goutte, à travers cette petite fenêtre de Google. Au bout de X années, cela fait beaucoup de matière. Pour montrer cela, j’ai choisi le livre.

Je vais vous présenter une video tournée à l’occasion de la présentation de l’œuvre My Google Search History à la Villette dans le cadre de l’exposition Terra Data. Cette video résume très bien ce que je veux dire, et donc je vais vous la montrer.

{transcription de la vidéo}

« Je m’appelle Albertine Meunier, je suis artiste numérique et j’utilise Internet comme un matériau de création. Je suis à la fois artiste et ingénieur et j’ai une double casquette et je m’intéresse plus particulièrement au mécanisme d’Internet. Ce que vous avez sous les yeux est une installation qui s’appelle  My Google Search History qui présente l’inventaire de toutes mes recherches Google depuis 10 ans sous la forme d’un livre. Matérialiser ses données aujourd’hui c’est très important cela permet à tout un chacun de comprendre ce que cela représente. Une donnée peut paraitre assez conceptuelle, et quand cela prend la forme d’un livre, cela a une matérialité, cela a une épaisseur, c’est quelque chose de tangible. Dix ans de recherche dans mon cas, cela représente deux tomes. C’est important aussi car cela permet démontrer comment ce geste, en apparence anodin, faire une recherche cela ne prend que quelques secondes, mais la globalité de ces recherches au fur et à mesure des jours, des mois, des années, cela représente vraiment une valeur… et cela permet à tout le monde de se rendre compte de toutes les données qui sont stockées sur nous-mêmes. Quand on fait cette expérience d’aller chercher ses recherches et de regarder à quoi elles ressemblent, on est un peu saisi par un sentiment assez partagé, entre à la fois la curiosité de son quotidien et quelque chose d’assez inquiétant. C’est comme un effet miroir qui se met en place. En découvrant l’ensemble de vos recherches, vous êtes face à vous-même dans ce quotidien, presque en temps réel. Très rapidement, vous allez comprendre que c’est comme si vous étiez suivi à la trace. Et donc ce fil de vie, finalement c’est assez perturbant de le percevoir et de le voir sous ses yeux.
Il y a une certaine candeur qu’il faut quitter. Car ces grands acteurs du Web jouent sur cette psychologie humaine qui est à la fois savoir et à la fois pas voir. Il y a une espèce de paradoxe permanent. Par contre, en prendre conscience à travers cette matérialité, c’est aussi essayer de changer ces rapports de force. Aujourd’hui, on est plutôt soumis, dans tous les cas, on suit le mouvement sans forcément réagir, sans forcément trouver des moyens d’action.
Alors c’est vrai que faire un livre cela partait assez audacieux, ou dans tous les cas étonnant, ou peut-être même inutile, mais cela permet de montrer que l’on peut agir même si c’est un micro-geste, même si c’est une micro-action, et de montrer que finalement on n’est pas si dupe que cela ».

{fin de la transcription de la vidéo}

Cette petite video permet de comprendre le contexte global.
Si on revient au livre, il ressemble à un vrai livre. C’est un livre papier avec une succession de recherches organisées mois par mois, chaque mois étant un nouveau chapitre. Et il y a la date et la succession des recherches faites à cette date, puis la date qui précède avec la succession des recherches, etc… C’est une succession de mots.
Pourquoi je dis qu’il est illisible, en tous les cas assez difficile à lire ?
Parce que c’est ennuyeux de lire des mots qui n’ont pas de liens, qui n’ont pas de liens entre eux. Et ce que l’on cherche est aussi assez ennuyeux. On pense qu’il y a beaucoup de mystère, il y a beaucoup d’intimité. Il y a des pépites d’intimité. Mais ce n’est pas si fréquent que ça. Il y en a peut être dans cette page, je ne sais pas.

En tous les cas, c’est un livre qui tombe des mains. Il y a très peu de personnes qui l’ont lu. Moi je ne l’ai pas lu. 
La force de ces nouveaux média, c’est que l’on peut écrire des livres mais ne pas les lire. Ni même avoir la conscience de les écrire. Ce travail en fait permet vraiment de matérialiser le monde des données tel qu’il nous entoure, et la relation que nous entretenons avec les grands acteurs du Web, mais aussi avec nos propres données que l’on glisse de manière continue.
Cela fait dix ans que je fais ce travail, cela a été assez dur au tout début d’extraire ces données. Donc aujourd’hui, c’est le lancement de la RGPD, la régulation européenne pour amener des règles avec les données, dont la portabilité de ses propres données. Cela va être beaucoup plus facile aujourd’hui d’exporter ses données, mais il y a dix ans, il fallait aller sur des interfaces obscures et il n’existait à peu près aucun moyen de les extraire. Il fallait être assez obsessionnelle pour commencer ce travail, car c’était une succession de copier-coller copier-coller etc.
Copier-coller copier-coller… à la fin cela fait un fichier texte. Passé à ce format lisible, le fichier texte était organisée par date. Passer à cela demandait beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, de par la législation, accéder à ces données-là est un peu plus facile. Il existe une interface chez Google qui vous permet de le faire. Voici ce que cela donne.

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Pour les plus curieux je propose de faire un atelier Extraction de ses propres données de recherche. Quand on fait cela, il faut être conscient que l’on n’a pas forcément envie de voir ce que l’on cherche. Quand on fait ce petit exercice, on va récupérer un fichier texte de ses propres recherches, dans un esprit d’instantanéité. Vous y trouverez ce que vous avez cherché la seconde qui précède. Il y a donc cet effet miroir dont je parlais tout à l’heure et qui est assez désagréable.
Ce qui explique que moi-même, je ne cherche pas à lire mon propre livre. Si je commençais à le lire j’aurais envie d’enlever des choses et je ne saurais pas par où commencer. Ce travail est impossible et donc, je préfère ne pas « contrôler » ce qui sera imprimé.

Toutefois, c’est une expérience à faire une fois dans sa vie.
Pour tous ceux qui ont un compte Google, allez voir la quantité de choses qu’on ne perçoit pas lorsque l’on fait une recherche.
Quand on a entre les mains un livre avec un très grand nombre de recherches cela commence à faire narration, même si c’est une narration partielle. Il y a des choses qui se dégagent de ce livre. Les personnes qui ont lu mon livre savent des choses de moi que je ne sais pas.

Récemment, j’ai fait en collaboration avec Felipe Vilas Boas et Sylvia Fredriksson, une œuvre qui s’appelle Casino las Datas. Elle est exposée actuellement à la Fondation EDF. Cette installation est assez pédagogique. On met en situation un Casino. Pour que les gens jouent, il faut qu’ils nous confient leurs données et en échange de leurs données, on leur donne des jetons pour jouer. Ce dispositif très didactique permet de comprendre exactement ce qui se passe avec les GAFA.

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Ce que je raconte tout le monde le sait en fait, ce n’est pas une nouveauté. Tout le monde sait que les GAFA collectent les données, mais la grande différence c’est que lorsque l’on est confronté à ce type d’installation, aussi bien le livre que ce Casino, c’est comme si on revivait l’expérience dans un monde réel transposé. On se rend beaucoup plus compte.

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Cela peut sembler un peu anecdotique de traduire ses données en des choses tangibles, mais c’est ce qui permet de saisir quelque chose que l’on ne saisit pas au fil de l’eau de nos usages numériques. 

En résumé, je dirai que mon travail porte sur la tangibilisation des données, la tangibilisation du monde numérique, comment on perçoit cet espace invisible, comment on le raconte autrement, et comment on traduit ses mécanismes.