Présentation
1. Présentation du colloque
Entre les artistes et les réseaux de communication et d’information, la relation est ancienne. Pensons au téléphone, à l’Internet des années 1980 et au Minitel. Depuis le Web des années 1990, les réseaux sont peu à peu devenus une scène de l’art court-circuitant les chemins traditionnels de production et de diffusion, et un théâtre global où s’expérimentent de nouvelles dramaturgies, peuplées d’identités multiples, composées avec la complicité, recherchée, subie ou revendiquée, de la machine.
Qu’en est-il, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux numériques ? Si Facebook ou Twitter, par exemple, semblent s’apparenter à de véritables machines d’écriture pour artistes et écrivains, offrant des contraintes littéraires, des matériaux multiples (images, sons, textes), des opportunités de détournements et de dérives, ainsi qu’un espace-temps d’actions et de performances artistiques, ce sont aussi et surtout des entreprises de diffusion mondiale de l’information, et des média (eg) / dispositifs socio-techniques (as) programmées pour capter le temps et l’attention disponibles des utilisateurs.
Quels types de rapport l’art et la littérature entretiennent-ils avec ces réseaux ? Quelles formes et quelles représentations font-ils émerger des réseaux sociaux ? Quels effets sur l’auteur, sur l’œuvre et sa pérennité ? Mais encore, dans quelle mesure les artistes, embarqués dans cette machinerie industrielle et culturelle, parviennent-ils à s’emparer des réseaux, à en faire un médium artistico-littéraire, et à les mettre à l’épreuve ? L’art et la littérature en réseau social numérique sont-ils d’office complices des enjeux du capitalisme cognitif, esthétique et linguistique des plateformes industrielles ? Distance, critique et action (politique) sont-elles seulement possibles dans un tel contexte, et sous quelles formes ?
En sus des communications suivies de débat, le colloque « Art, littérature et réseaux sociaux » a accueilli des performances, un atelier d’édition par le collectif PréPostPrint et des expositions de recherche. Il a réuni artistes, chercheurs, étudiants et professionnels du monde de l’art.
2. Présentation du site
Il arrive parfois qu’à l’occasion de la publication d’un livre traitant de questions théoriques, le ou les auteurs proposent un site web en extension. Cela a été le cas avec Writing Machines de Katherine Hayles ou avec l’édition française de Gramophone, Film, Typewriter de Friedrich Kittler. Avec « I love to Spam » qui forme les actes du colloque « art, littérature et réseau sociaux » de Cerisy-la-Salle (22 > 27 mai 2018), nous avons adopté la démarche exactement inverse. D’abord le site, puis un livre imprimé. Pensé comme une extension, voire une émanation du site, il sortira fin 2019.
Premièrement ces actes sont bien des actes. Ils racontent ce qui s’est passé à Cerisy cette semaine-là. La date de leur publication correspond à celle de leur réception par les directeurs de publication, parfois pendant le colloque même, dans tous les cas, avant la fin juin 2018. Ces actes remplissent donc une fonction d’archive (écrite essentiellement, car notre colloque concernait en grande partie la littérature). Ils ne correspondent pas forcément à ce qui s’est dit, mais toujours à ce qui s’est écrit dans une très grande proximité avec l’événement du colloque.
Le lecteur y trouvera non seulement les articles des intervenants, mais aussi les échanges publiés sur une liste de diffusion créée pour l’occasion. La liste, appelée DONC et animée par le collectif PréPostPrint, a eu pour vocation de s’incarner dans un imprimé. Une rareté en cinq exemplaires, comprenant des annotations manuscrites, ressemblant à une sorte fanzine cyber-punk transposé dans l’esprit des réseaux sociaux actuels.
À la grande surprise des participants du colloque et du public, DONC a permis d’autres types de communication, par exemple de machine à machine. Spoofing, spam, virus ont fait leur apparition, créant une tension dramatique qui a donné l’occasion à de riches discussions sur la manière d’agir, en tant qu’artiste et auteur, sur et avec les réseaux sociaux. N’apparaissant jamais au hasard – une lecture en profondeur du site permettra de le comprendre – ils ont ouvert d’autres discussions, comme celle de la frontière entre artiste et chercheur.
« I Love To Spam » offre plusieurs stratégies de lecture : thématique, chronologique, aléatoire, par auteur et autrice, mais aussi de manière plus discrète et souterraine, par les liens internes ou les liens établis par les auteurs du site entre les articles. À la fin de chaque article, le lecteur ou lectrice trouvera une invitation à continuer son parcours, parfois de façon cohérente, mais pas toujours. Nous avons voulu que ce site reflète la manière avec laquelle nous « perdons notre temps » sur les réseaux sociaux, suivant une « logique » mystérieuse, en tout cas propre à chaque lecteur et lectrice.
Emmanuel Guez et Alexandra Saemmer