Art Minitel : Reconstitution d’un serveur
Note des éditeurs : Communication du 26 mai 2018 à 15h30. Envoi par courriel aux éditeurs le 27 mai à 19h15.
La porte des média techniques se ferme petit à petit. L’archéologie des média tente de l’ouvrir.
Les coulisses des réseaux sociaux actuels nous sont cachés. La mise en lumière de ces coulisses, la reprise en main par les individus est un enjeu essentiel.
Hardware/software. Matériel/logiciel. Infrastructure physique/algorithmes. Informatique/électronique. Le distinguo vieux comme l’informatique est encore d’actualité, et les coulisses peuvent être abordées au travers de ces deux concepts.
À l’ère des GAFAM, les algorithmes qui nous gouvernent nous sont cachés. Pour y échapper, certains créent des faux profils, créent de la fiction ; d’autres organisent leur invisibilité ; d’autres enfin, cartographient le web.
L’infrastructure physique est, quant à elle, devenue aussi performante et sophistiquée qu’inaccessible. Il n’y a de média techniques qu’industriels. Prendre le contrôle sur les flux d’information est un enjeu essentiel, aussi du point de vue des matérialités.
Le choix du Minitel s’est imposé au PAMAL en 2012. La rencontre avec Eduardo Kac y a participé. Nous avons, à sa demande, créé un second original de ses œuvres télématiques datant de 1985 et 1986.
Le réseau Minitel a été actif pendant 25 ans et son empreinte sur l’inconscient collectif français est restée très forte. Ce réseau, aujourd’hui mort pour des raisons matérielles, peut être disséqué, déconstruit et entièrement contrôlé d’un point de vue matériel.
Nous pouvons, dans ce réseau, nous placer au plus bas des matérialités qui le constituent. Les différentes couches qui nous séparent du langage machine peuvent être appréhendées. Au départ, il y a ce que l’on voit sur l’écran du Minitel ; vient ensuite le code informatique ayant permis cet affichage ; puis les tensions électriques permettant le transport de l’information ; puis celles qui, au sein des microprocesseurs, activent la réalité électronique première.
Le réseau Minitel d’origine, celui mis en place en France en 1978, a la structure suivante :
La norme utilisée pour le codage de l’information est le videotex. Une norme inspirée de l’ASCII américain datant de 1972. C’est bien sûr l’ASCII qui s’est imposé par la suite au monde entier.
La norme V23, quant à elle, permet de communiquer des informations numériques via des ondes et des signaux électriques sonores. L’utilisation du son est ici une contrainte technique forte due au fait que, sur les lignes téléphoniques, avant les technologies ADSL, ne pouvaient circuler que des signaux sonores dont les fréquences correspondent à la voix (entre 300 et 3400Hz).
Les autocommutateurs gérés par les PTT puis par France Télécom permettaient de mettre en relation les abonnés téléphoniques entre eux. Le réseau Transpac offrait, quant lui, aux abonnés de se connecter à des serveurs télématiques. Les données numériques étaient transportées avec le protocole X25, remplacée ensuite par le protocole TCP/IP à l’heure d’Internet.
Les autocommutateurs existent encore et le RTC (réseau téléphonique commuté) sera en place jusqu’en 2020 au moins, mais ce réseau est en sursis. Le réseau Transpac a disparu en 2012 avec le protocole X25. C’est à ce moment-là que la mort du Minitel a été annoncée. C’est à partir de cette brèche ouverte que le PAMAL, animé par la théorie de l’archéologie des média, s’est mis au travail.
Le Minitel est un simple terminal, sans aucune intelligence recevant, via le réseau téléphonique, les informations qui s’affichent sur son écran.
Le modulateur (Mo) permet de transformer le son codé avec la norme v23 en une information numérique que peut interpréter le microprocesseur très simple du Minitel. Le démodulateur (dem) permet au Minitel de générer un son dépendant des touches de clavier enfoncées par l’utilisateur.
Une prise péri-informatique existe sur presque tous les terminaux Minitel. Celle-ci était prévue pour brancher des périphériques sur le Minitel, comme une imprimante. Cette prise permet de communiquer directement avec le microprocesseur du Minitel sans passer par le son et le modem.
Peu utilisée avant 2012, c’est cette prise téléphonique qu’il est le plus aisé d’utiliser pour faire fonctionner un Minitel aujourd’hui.
Il suffit de transmettre et recevoir des octets en liaison série. Ce qui est très facile avec des cartes Arduino ou Raspberry Pi.
Bien évidemment, ces données doivent être au format videotex. Ce format est expliqué de façon très didactique, très bas niveau, dans le STUM (spécifications techniques d’utilisation du Minitel).
Le format videotex permet de coder des lettres sur 7 bits (b1 à b7), ce qui limite à 127 caractères. Mais des combinaisons d’octets permettent de coder d’autres caractères, de coder les couleurs, le déplacement du curseur, l’effacement de l’écran, le bip sonore… Il est aussi possible de changer de jeu de caractères. Le jeu de caractères dit « semi graphiques » permettent au Minitel d’afficher des images avec une résolution de 80×75.
Il existait des claviers et des logiciels permettant de coder une page videotex. Ils sont très difficiles à trouver aujourd’hui. Le logiciel en ligne MiEdit offre une interface agréable pour composer les pages. Mais la solution incontournable reste de travailler directement en langage machine, c’est-à-dire en hexadécimal.
Ce travail au plus près de la machine n’est possible qu’avec des dispositifs électroniques primitifs comme le Minitel. C’est un travail qui ouvre beaucoup de perspectives aux artistes.
Les matérialités ne s’arrêtent pas au niveau du code hexadécimal. Toute œuvre numérique s’inscrit dans un écosystème. Entre l’écosystème original et la solution d’un Minitel connecté à une simple carte Arduino sur la prise péri-informatique, l’utilisation du son et la notion de réseau a disparu.
Pour retrouver la notion de réseau, nous avons utilisé des passerelles WIFI connectées au Minitel.
Plusieurs terminaux Minitel peuvent ainsi se retrouver en réseau, connectés à un serveur central. Ce serveur a été programmé et structuré de manière à lire des pages videotex entre lesquelles une navigation définie par des combinaisons de touches est possible. Une arborescence est ainsi programmée en utilisant un format actuel : le JSON. Les pages télématiques sont au format videotex (VDT).
Cette structure permet à tout un chacun de programmer son service télématique. Ce serveur constitue une boîte vide auquel on peut facilement donner du contenu.
La navigation entre les pages du Minitel se fait grâce au clavier. Pour faciliter cette navigation, des touches spéciales propres au Minitel peuvent être utilisées :
La prise péri-informatique est simple et bien adaptée aujourd’hui pour faire fonctionner le Minitel, mais le Minitel est alors en permanence connecté. La procédure de connexion utilisant le téléphone, le son et le modem a disparu.
La recréation du serveur s’est donc focalisée sur l’utilisation du son. La norme v23 utilisée par le Minitel permet une transmission à 1200 bauds soit 120 caractères par seconde dans le sens descendant, et 75 bauds soit 7,5 caractères dans le sens montant (du clavier Minitel vers le serveur).
Modulation
Démodulation
Quatre tonalités différentes sont nécessaires pour transmettre les bits dans un sens et dans l’autre en même temps. C’est une transmission en full duplex.
Le son qui en résulte est très reconnaissable pour une oreille habituée. Deux sons minimums apparaissent en même temps au repos, un grave à 390 Hz, l’autre plus aigu à 1300 Hz. Lors d’un transfert de données, le son devient crépitement et ressemble au son des modems 56k apparus un peu après le Minitel.
De ce point de vue, nous pouvons considérer le Minitel comme un convertisseur son-image. La possibilité d’utiliser le son comme vecteur d’une information numérique ouvre de nouveaux horizons.
La génération et la réception de ces sons peut se faire avec une carte son d’ordinateur. Toutefois, l’utilisation d’Arduino permet plus de souplesse.
L’autocommutateur (PABX) permet de remplacer le service RTC de France Télécom et de fonctionner en local. Cependant, il est tout à fait possible d’utiliser le RTC (POTS Plain Old Telephone Service pour les anglo-saxons).
Il devient ainsi possible d’expérimenter la procédure de connexion utilisée en 1978. Il faut composer le numéro de téléphone correspondant au serveur, attendre que la porteuse soit reçue et entendue au téléphone, attendre enfin que le Minitel envoie sa porteuse. L’utilisateur peut alors appuyer sur la touche connexion/fin du clavier et permettre ainsi au Minitel de se connecter.
Il est alors possible de raccrocher.
Cette procédure de connexion est déstabilisante pour les utilisateurs de l’ADSL que nous sommes tous devenus.
Dans la technologie Minitel d’origine, les adresses IP des serveurs n’existaient pas encore. Les services télématiques étaient d’abord repérés par des numéros de téléphone. Le 3615 reste le plus connu. Derrière ce numéro existait une multitude de services télématiques payants. Le 3611, l’annuaire des PTT, quant à lui, était gratuit. Il existait enfin des numéros de téléphone classiques hébergeant des serveurs télématiques non institutionnels, gérés par des particuliers : les micro-serveurs.
Les numéros de téléphone indiqués sur l’image sont ceux d’abonnés ayant chez eux des ordinateurs, et une ligne dédiée ou non. Cela explique pourquoi des heures sont indiquées. Lorsqu’un client se connectait à ce serveur, la ligne téléphonique sonnait occupée. Les appels téléphoniques étaient alors impossibles et aucun autre client ne pouvait se connecter au service.
Ce que, donc, nous avons reconstitué, afin de préserver les œuvres Minitel et offrir de nouveaux services Minitel, n’est rien d’autre qu’un micro-serveur RTC.